Le camino de Las Escaleretas par Pierre Minvielle
En 1966, Pierre Minvieille explore le rio Vero. Basé proche de l’ermitage de San Martín de Lecina il nous livre ce récit:
Dans ce bas-fond perdu du Barranco de Lecina, les visites ne tardèrent pas à se succéder. La plus marquante fut celle d’un vieil homme – nous avons appris par la suite qu’il s’agissait du señor Coscojuelo, « vecino» d’Asque et qu’il était propriétaire du champ sur lequel nous campions sans autorisation. Il a eu l’élégance de ne rien nous en dire. L’homme, trapu, devait avoir une soixantaine d’années. Il avait enlevé ses « alpargatas » pour les économiser lors de la traversée du rio. D’où venait-il ? De Barbastro, en camion, puis à pied ? Ou allait-il ? D’un geste, il désigna le Peñon de la Choca.
« J’ai un champ de pommes de terre au-dessus », expliqua-t-il.
« Et par où passez-vous ? » ai-je demandé.
« Par-là », a-t-il indiqué du geste, montrant toujours la falaise verticale du Peñon. « Il y a un passage ». Comme nous restions interloqués, voire dubitatifs, il crut bon, d’ajouter : « Je crierai à chaque passage ». Et il s’est éloigné. Nous l’avons vu se rechausser et attaquer l’ascension de la falaise. Au début, on devinait qu’il devait suivre une sente dans les éboulis, puis une corniche. Il trottait parmi ces difficultés. A chaque point stratégique, il poussait un hurlement pour indiquer l’emplacement de l’obstacle et la façon dont il fallait s’y prendre pour le surmonter. Les méandres de la garganta multipliaient les échos de ce cri comme pour accentuer la sauvagerie de la scène. Entre deux grottes, le funanbule embrassa la paroi et enjamba le vide. Le spectacle était si poignant que j’avais oublié de prendre ma caméra. Je me précipitais, la mis en batterie, visais la paroi et l’énergumène qui y circulait. A présent, il trottait sur une corniche en devers et disparut derrière un repli de la roche. Je le retrouvais plus loin, agrippé à un éperon. Il était un peu à quatre pattes. Il passa. Il hurla. Il disparut. Avais-je rêvé ? La brève séquence de mon film prouva que non. Etais-je en 1966 ou à l’époque de Neandertal ? Je ne saurais trop le dire. Et ce soir il lui faudrait redescendre encombré et alourdi par un sac de pommes de terre…
Depuis des siècles les cuchacheros, les charbonniers et les paysans de Lecina, passaient par là. Et, après Pierre Minvielle et les siens, de nombreux randonneurs. Fallait -il équiper cet itinéraire? Que restera-t-il alors du Rio Véro quand nous l’aurons harnaché de passerelles (avec un sens unique !) comme à Alquezar? Faudra-t-il flécher les parcours dans les chaos et mettre des mains-courantes dans les fajas? Créer de nouvelles entrées pour éviter les navettes? Transformer la moindre falaise en via ferrata? Puis multiplier les interdits et les règlements? Rendre obligatoire la présence d’un guide? Faire payer les parkings? La sierra de Guara était un espace de liberté. Polluée, incendiée, dénaturée et suréquipée, vendue sur catalogue, elle est désormais devenue un produit commercial. Très bonne illustration ici.
Superbes photos…..BRAVO. Au plaisir de partager une autre rando ensemble sous le soleil d’Aragon.
Bonjour, effectivement, ce chemin et une petite merveille autant vertigineux que beau, ce parcours sur les flans du canyon fait découvrir des belvédères uniques sur le rio vero. Reste a chercher un peu le départ de cette vire dans le fond du canyon. j’y suis allé l’année dernière avec mon ami pierre qui cherche toujours à me faire découvrir les sentiers cachés de la sierra de Guara. Pierre de la meson de castellazo que je recommande vivement bien sur !! Du coup je me suis procuré aussitôt le livre « rio vero » de « Pierre Minvielle », qui retrace ces lieux secrets de la sierra de Guara, indispensable pour les passionnés du haut Aragon.
Effectivement, Pierre est incontestablement LE guide de cette partie de la Sierra puisqu’il connait ses moindres recoins et tous ses secrets.