Sommet emblématique du Comminges, le Cagire domine la vallée d’Aspet et s’impose comme un repère majeur pour les habitants de la région. Facilement accessible, mais exigeant par son versant nord, il attire chaque année de nombreux randonneurs en quête de panoramas grandioses sur la chaîne pyrénéenne et la plaine. Symbole identitaire et montagne incontournable, il incarne à lui seul l’attachement profond des Commingeois à leurs Pyrénées.
Cela faisait plusieurs mois que je n’avais pas mis les pieds en montagne. Le vélo occupe tout mon temps libre, mais malgré le plaisir de pédaler, rien ne remplace pour moi la lente ascension d’un sentier, l’odeur des hêtres et le silence des crêtes. Alors, quand Luc m’a proposé le Cagire, j’ai dit oui sans hésiter.
Nous étions quatre : Luc, son ami David, son fils Théo et moi. Théo, justement, avait une motivation toute particulière : s’attaquer au Cagire par son versant le plus exigeant. À douze ans à peine, il voulait prouver qu’il pouvait, lui aussi, mériter ce sommet si cher aux Commingeois. Le Cagire, c’est un peu son Everest à lui…
Nous rejoignons le parking de la Couage par la piste forestière qui s’élève depuis Juzet-d’Izaut. Le ciel a cette clarté d’avant lessive : une canicule suivie d’un refroidissement, de fortes pluies, puis le retour du beau temps… un cocktail idéal pour ne pas chasser complètement la brume des lointains.
Dès les premiers mètres, la pente est sévère : le sentier prend de la hauteur sans ménagement à travers la forêt. Le souffle se cale, les cuisses chauffent, chacun trouve son rythme.
Il faut environ une heure pour atteindre la cabane de Juzet, petit repère pastoral qui annonce le début des choses sérieuses.
Au-dessus de la cabane, la pente se redresse franchement. Le sentier s’enroule en une succession de lacets serrés à travers une raide pente d’herbe et de terre, gagnant l’altitude pas à pas. À chaque virage, une fenêtre s’ouvre : tout proche, le massif du Pic du Gar (1 785 m) dresse sa silhouette imposante, tandis qu’en contrebas, la plaine du Comminges s’étale comme une carte vivante. Cette portion, à la fois rude et spectaculaire, forme le véritable cœur de l’ascension — celui où les jambes brûlent, mais où les paysages récompensent chaque effort.
Nous atteignons le col (1 847 m), posé sur la crête sommitale entre le Cagire (1 912 m) et le Pique-Poque (1 898 m). Une courte halte s’impose : le temps de souffler, de lever les yeux vers le sommet tout proche et de sentir déjà le vent des hauteurs. Devant nous, la dernière pente s’élève, promesse du but tant attendu.
Au sommet du Cagire (1 912 m), la foule est au rendez-vous : familles, clubs de randonneurs, solitaires venus chercher un peu de vent et d’espace.
Le Cagire attire parce qu’il est la montagne des Commingeois, à la fois symbole identitaire et but de promenade incontournable. Visible depuis Saint-Gaudens, Aspet ou les villages voisins, sa silhouette familière façonne l’horizon et nourrit l’imaginaire local. Plus qu’une montagne, le Cagire est un repère, une fierté, un gardien silencieux veillant sur la plaine. Modeste par l’altitude, le Cagire est immense par ce qu’il représente dans le cœur des hommes.
Nous sortons le pique-nique et savourons ce moment simple, brassés par le vent et les conversations alentours. L’une d’elles nous arrache un sourire : un homme d’une soixantaine d’années, sec et affûté, short court et marcel, raconte avec verve ses exploits de montagnard et de traileur à une petite assemblée, majoritairement féminine, suspendue à ses paroles. Le problème, c’est que ses histoires sont tellement invraisemblables qu’on devine vite le côté fanfaron du personnage. Nous, ça nous amuse, mais ses auditrices du dimanche semblent conquises, accrochées à chacun de ses récits enjolivés.
La visibilité reste brouillée, sans doute héritée des fortes chaleurs des jours précédents : les sommets lointains se perdent dans un voile laiteux, et le glacier de l’Aneto n’est plus qu’une mince pellicule de glace, réduite à une peau de chagrin. Qu’importe : la joie d’être là domine tout.
Théo, lui, rayonne. Il a réussi son pari de gravir le Cagire par son versant le plus exigeant. Pour lui, ce sommet, c’est un peu l’Everest du Comminges — celui dont il parle depuis des semaines, les yeux brillants. Toute la montée, il nous a abreuvés d’anecdotes sur le film de cet influenceur parti au Toit du Monde, comme si chaque lacet du sentier nous rapprochait du camp de base. Fier de son exploit, il racontera ce soir son ascension à son grand-père.
Le nom Cagire intrigue depuis longtemps. Plusieurs hypothèses existent : il viendrait du gascon cadir, qui signifie chaise ou siège, en référence à sa silhouette massive qui domine le Comminges comme un trône naturel. D’autres rapprochent le mot d’une racine pré-latine évoquant une hauteur rocheuse. Quoi qu’il en soit, son nom, aussi sonore que familier, est ancré dans la mémoire collective : dire “le Cagire”, c’est immédiatement évoquer la montagne des commingeois.
Avant de redescendre, nous suivons la crête jusqu’au sommet de Pique-Poque (1 898 m), une élégante antécime qui prolonge la ligne du Cagire. Le sentier ondule, offrant encore quelques belles vues sur les vallées et les reliefs environnants.
Du sommet de Pique-Poque, le Cagire se dresse tout proche, majestueux, dominant la crête que nous venons de parcourir.
La descente s’amorce tranquillement par le chemin de montée, retrouvant les lacets herbeux, la cabane de Juzet, la forêt sombre, et enfin le parking de la Couage. Les genoux protestent un peu, la fatigue se fait sentir, mais la satisfaction domine, et les sourires restent intacts.
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